Ce soir vient m’éblouir ce qui brillait alors,
Lorsque nous traversions l’orge en gerbe en sandales,
Tenant entre nos mains cet amour colossal,
Aussi petit et vain que des grains d’ellébore ;
Serrant entre eux la joie que l’espoir dissimule,
Nos doigts entrelacés vibraient à l’unisson,
Mais l’Amour patient préparant la moisson,
Ton cœur battait trop fort pour que mon sang circule ;
L’été planait sans bruit, le ciel flattait la terre,
Nous cheminions légers en riant de ces traces,
Que nous laissions parfois dans les jardins d’en face,
Quand je te ramenais lentement chez ton père ;
Tu aimais ma folie, je t’inventais des vers,
Mais les muses fuyaient quand j’entrais dans ta cour,
Et ne comprenant pas que je t’aimais d’amour,
Je t’avoue qu’au retour mon cœur restait amer ;
Il avait même un peu de ces petites poires,
Tombées au pied de l’arbre, oubliant d’être mûres,
Jamais assez sucrées, toujours un peu trop dures,
Et dont je dédaignais la misère et la gloire ;
Ne pensant qu’à mourir en longeant la ravine,
Je n’étais plus même un à ne plus être deux,
Heureusement qu’un ange entend les amoureux,
Et que la rose aussi s’enrubanne d’épines ;
Un siècle a dû passer, mais je n’ai pas compté
Les heures où mes yeux savourèrent l’enfance,
Ni ces jours de plaisir aussi profonds que denses,
Où je les ai plongés dans les tiens reflétés ;
J’ai beau fouiller partout, retourner chaque meule,
Je n’aimais respirer que le pain de ton bras,
Et quand je rêve encore aux épis de là-bas,
J’ai presque autant de force et de foi qu’un grain seul…
Sébastien BROUCKE
5/8 février 2012.