Si, tu as ri.
Genèse 18 verset 15
Le père des croyants n'espérait même plus,
Son épouse riait au bruit de ma venue.
Quand la bréhaigne avait un mari centenaire,
Qui d'une vieille femme en ferait une mère ?
On ne m'attendait pas, on était convaincu
Que c'est d'un autre fil dont serait le tissu,
Et ce manteau brillant qu'un ciel leur promettait,
Ce n'est pas sur leur dos que Dieu le poserait !
Comme une nuit d'été va d'astres revêtue,
Abraham aurait eu des enfants jusqu'aux nues ;
Les cieux le béniraient, à eux serait la terre,
Et nous n'aurions jamais de soucis à nous faire.
Légende ridicule, histoire saugrenue,
Qu'en des temps religieux, des âges révolus,
On racontait le soir aux nymphes sans enfants,
Pour leur rendre l'espoir qu'avaient rongé les ans.
Je ne suis qu'une fable où l'humour s'est complu,
Un miracle étonnant d'amour non dépourvu,
D'un temple ou d'un chemin, toute première pierre,
Je devins grâce aux cieux l'enfant de la prière.
Sur l'attente et l'envie, répondant aux vaincus,
Je servis à la foi de preuve et de début,
Et quand l'espoir mourut, je survins dans un cri,
Vivifiant d'un regard les âmes endurcies.
La tête leur tourna comme quand l'homme a bu,
Dieu riant de l'amour jaillissant de ses fûts,
Promettant l'insensé, l'accomplissant sans bruit,
Renversait l'ambroisie sur le monde et sur Lui...
Un matin je naquis et, parole tenue,
Toute ironie cessa le jour où l'on m'a vu.
Qui viendrait se moquer des prophètes, des anges,
Tout pouvait advenir, plus rien n'était étrange !
Le temps passa pourtant, et les preuves fondues,
Le doute en ses flocons est vite descendu...
Hommes de peu de foi, engeance sans lumière,
Pour aller de l'avant, regardez en arrière !
Assis à la moitié d'une étrange avenue,
Dont j'entrevois plus mal la fin que le début,
Sur le bord d’un trottoir où d'autres se promènent,
J’ai l’âme d’un brin d’herbe en quelque aride plaine…
La vie, cette équation où l'homme est l'inconnu,
Ne mène nulle part : où vous êtes, je fus !
Et sur ce boulevard où l'on erre en tout temps,
Ce qui ne viendra plus m'assèche lentement.
J’ai cherché quelque livre où trouver le salut,
Des rêves où toucher des paradis pendus,
Puis j’ai perdu soudain jusqu’à mes souvenirs,
Et de ce que j’avais j'ai conservé le pire !
Des promesses passées, des regrets souvenus,
Des amis effacés, Dieu qui n’existe plus,
Plus une goutte d’eau, ma gourde de mots vide,
J'ai vu en chaque jour une nouvelle ride...
Rejeton dérisoire, tardivement venu,
Je n’en reste pas moins l’envoyé et l’élu.
Des étoiles sans nombre, arrivée la première,
Vers des peuples lointains j'élargis les frontières.
Sans penser aux joyaux luisant aux ciels émus,
Abba rêvait d'un fils courant vers lui pieds nus !
Mais quand je vois les miens, je demande sévère :
Dieu n'a-t-il qu'enfanté des cailloux à mon père ?
Quand la lueur des jours ne me les ouvre plus,
Que pourraient voir des yeux que l'ombre a revêtu ?
J’étais venu marcher pour réjouir mes heures,
J’attendais convaincu quelque chose en mon cœur…
Mais qu'est-ce que j'entends, qu'offre-t-on à ma vue ?...
Des hommes, des enfants, que l'âge a corrompus,
Du mensonge à foison, des promesses sans nom,
Le mal vainqueur partout et partout rien de bon...
Chacun se joue de moi, j'ai même confondu
Ma chair, mon sang, leurs voix, l'imberbe et le velu.
Ah ! quand je rejoindrai mon lit à Macpéla,
Les morts riront bien moins des astres que de moi...
La vie s'est esclaffée le jour où je l'ai vue,
Et maintenant, inerte, au bout de cette rue,
Mélangeant mes garçons, aveuglé par les ans,
J'abandonne qui j'aime et bénis qui me ment !
Non contents de hâbler leur fils redescendu,
Mon nom peut-être aux miens ne sera même plus !
Pourtant j'étais l'enfant du ciel et des suppliques,
D'un peu de poésie, d'émois fous, fantastiques...
En un mot comme en cent, vivre ici m'a déplu,
Et je m'en vais heureux tant je repars déçu.
Les hommes m'ont repris ce à quoi je tenais,
Le sang ne court en moi que pour leur échapper...
Les ponts ont résisté, les fleuves ont rompu,
Mon monde est une digue où l'eau n'arrive plus,
Les sources ont tari, pas une goutte à boire,
Et l'argile n'est plus qu'une boue sèche et noire.
Pourquoi ne pas brûler ce qui ne donne plus,
Et refaire un jardin de ce sol vermoulu ?
Chut !... Ton Dieu prie et, dans sa lumineuse nuit,
Un jour nouveau s'avance où l'Homme croit en Lui...
Sébastien Broucke
Terminé le 21/04/2010
Le tableau est de Govaert Flinck, 1638
Chut !... Ton Dieu prie et, dans sa lumineuse nuit,
Un jour nouveau s'avance................